[Chronique - hommage] Sylvain Courtoux, Ce n'est pas dans le journal / que j'ai appris la mort de Pierre Courtaud...

[Chronique – hommage] Sylvain Courtoux, Ce n’est pas dans le journal / que j’ai appris la mort de Pierre Courtaud…

juillet 7, 2011
in Category: chroniques, UNE
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Au moment où nous apprenons que La Main courante pourrait être reprise – au moins pour un temps -, nous vous proposons la seconde partie de l’hommage écrit dans le pur style courtousien. [Lire la première partie]

3. Comment ne pas citer chez Ecbolade (d’Alin Anseeuw), C’est dans le journal que j’ai appris la mort de Richard Cœur-de-Lion par une matinée d’oiseaux blancs dans le ciel, 1990 (avec sur 20 exemplaires une intervention plastique de Jean Mazeaufroid), où Courtaud se plaît même à citer les tous premiers vers du Billy The Kid de Jack Spicer dans son très beau titre. Livre exigeant qui est construit sur vingt séries de deux pages en regard, celle de gauche résultant d’un cut-up syntaxique : débris de groupes syntaxiques incomplets, et de mots isolés, d’atomisation du sens en bribes de conscience : pur objectivisme.

 
En haut de la page de droite, des inscriptions commerciales codées, comme ce que l’on pourrait voir sur un cahier de comptes ou sur une caisse de bateau ; en bas succédant à du blanc, des fragments de récits, de lettres, de romans, probablement d’un autre siècle ou de l’histoire des Courtaud. Et trois types de caractères, trois niveaux d’écriture et trois niveaux de lecture (le texte critique (académique mais pas mal) de Rouffanche sur Courtaud, dans son anthologie, m’a bien aidé.

 

Et comment ne pas citer aussi Le lait contemporain (LMC, 1990), qui s’ouvre, pour la première fois, sur un exergue de John Cage donnant au livre son titre ? Comme programmatique donc. Livre composé de trois parties distinctes, trois longs poèmes expérimentaux, qui, tous, sont ouverts, par un épigraphe entre parenthèses, tout en bas à droite, de Courtaud lui-même. Ce livre est complexe et je ne peux le décrire en quelques phrases mais on sent, plus que jamais, dans ce livre qui est pour moi easy-dans-le-top-10-des-livres-de-Courtaud, l’un de ses plus grands livres donc, une acuité nouvelle et une volonté véritablement expérimentaliste.

 

Dans ce tout début des années 90, l’expérimentation poétique revient de (très) loin, avec les revues Java, If – qui reprend là ou Banana Split avait terminé, où Courtaud a aussi publié (n° 26) -, ou Nioques chez La Sétéré avant d’être chez Al Dante en 94, avec non seulement de très jeunes auteurs qui pointent leurs nez (Quintane, Tarkos, Pittolo, Espitallier, Courtade, Molnar, Moussempès, Vassiliou, Monnier, etc.), mais aussi d’autres qui deviennent, à ce moment -là, quasiment des incontournables (grâce à Fourbis, P.O.L, Flammarion, etc.) comme Cadiot (dont La revue de Littérature générale paraîtra en 1995), Giraudon, Prigent (son Commencement chez POL en ’89 a fait beaucoup de bruit), Guglielmi, Grangaud, Portugal, Viton, Frontier, Blaine, Heidsieck, Esteban, Hocquard, Lapeyrère, ou Jean-Marie Gleize qui publie en 90 le tout premier tome (Léman) de sa Tétralogie au Seuil/Fiction & cie.

C’est aussi dans ce début des années 90 que naît sous l’impulsion d’Henri Deluy la Biennale des Poètes en Val-de-Marne et la collection qui va avec (chez Fourbis, puis Farrago).

Et de nouvelles anthologies par Deluy chez Fourbis (Une autre anthologie, Une anthologie immédiate, Une anthologie de circonstance), puis Stock, en 1994 avec  Liliane Giraudon : 29 femmes, une anthologie.

 

Bref, dans ce joyeux fatras de publications et de poètes, parfois nouveaux et nouvelles, Pierre Courtaud, imperturbable, va continuer ses travaux (presque) comme si de rien n’était. En publiant parfois dans Docks, ou dans Nioques. Et chez de petits (mais costauds) éditeurs comme L’instant perpétuel, Æncrages & co (en 92), les éditions de L’incertain, Ecbolade, Le Limon, Aiou, MEM/Arte facts, Couteau & Ménard, Jean Mentelin, et bien sûr La Main Courante. Qui reste (presque) le lieu privilégié de ses meilleurs livres (à part Song of Leonard Cohen et puis Chine chez Æncrages & co respectivement en ’92 et ’98) comme le sublime (je n’ai pas d’autres mots) L’Amante noire, en 90, ou Contre-portraits (en 93). Mais c’est à ce moment-là aussi où LMC va prendre véritablement sa vitesse de croisière, car on passe du dix-neuvième livre de la collection en 1990 (Le lait contemporain) au cent sixième en 2000 avec l’expérimental-récit, L. dans la boutique obscure, ce qui fera 97 livres en une décennie, soit presque 10 livres par an, ce qui fait que 61 % des livres de La Main Courante ont été publiés dans les années 90 (contre 13 % dans les années 80 et 26 % pour les années 2000). Ce qui est quand même beaucoup pour une petite maison qui n’aura jamais de distributeur-diffuseur à la hauteur des ambitions éditoriales de Pierre Courtaud.

 

Et c’est aussi dans ces années quatre-vingt-dix que Courtaud va être récompensé

symboliquement pour son travail sur et d’après Gertrude Stein. Comment ne pas mentionner en ’97 le numéro historique de la revue If (Giraudon, Depaule, Deluy, Viton), numéro dix, dont Courtaud sera le maître d’œuvre avec un essai introductif de presque 50 pages accompagné de ses propres traductions de l’œuvre de Stein. Texte tellement important qu’il sera l’avant-garde de son Gertrude Stein, notes, parenthèses et jeux de roses (Al Dante début 2000), qui sera le premier des deux livres qu’il publiera chez eux – malheureusement son plus gros éditeur à ce jour (avec le Castor Astral qui avait fait un très beau boulot avec le génial & roussellien La bibliothèque du faussaire, 2002). Numéro de revue si important qu’on peut vraiment dire que c’est Courtaud qui est bien l’un des premiers à avoir remis Stein dans les radars et les viseurs de la modernité poétique en ce début de XXIème siècle. Si symboliquement on peut dire que son travail de passeur est récompensé par cette publication chez Al Dante et ce numéro de If, il n’en est pas moins vrai pour autant qu’il continuera à publier dans les années 90 beaucoup de livres ou de plaquettes chez de nombreux (tous) petits éditeurs, et aussi, bien sûr chez LMC.

 

On peut signaler aussi que dans ces années-là, il travaillera à beaucoup de textes-poétiques-hommages ou prenant comme point de départ des écrivains ou artistes qu’il chérit particulièrement : ça commencera en 92 avec le Song of Leonard Cohen (chez Æncrages & co), et J’ai Vendu (cf. ci-plus bas), puis le Tombeau de Raymond Roussel en 93 (chez L’incertain), puis La Machine Proust et Questions de Méthode, tous les deux chez AIOU en 96, qui sont des livres de monostiches basés uniquement sur les noms respectivement de Marcel Proust et de René Descartes. Et aussi un Vie et Mort de William Shakespeare, cent preuves, qui est noté dans le texte « Notes sur Projets en cours » que Courtaud avait donné à Rouffanche pour explicitations de son propre travail, mais qui n’est je crois jamais sorti.

 

C’est aussi dans ces années-là qu’il développe son travail de "fictions" et sa poétique singulière (entre Zen, Stein, et une certaine idée de la poésie blanche) avec des livres qui sont autant d’expérimentations étonnantes que de réussites littéraires frappantes, comme Histoire(s) du dormeur, chez les Editions du Limon, en 1994, Couloir (Mem/Arte Facts, 96) qui mixe les niveaux de lecture et d’écriture, Lilas, exercices d’émerveillement (avec des vignettes de Titus-Carmel) (LMC, 97) et surtout mes trois préférés de ces années-là (en attendant les grands livres des années 2000) : Chine (Æncrages & co, 98), A… ou la Traduction Continue (LMC, 98) et L. dans la boutique obscure (LMC, 2000). Car c’est dans ces trois livres que l’on peut le plus pleinement ressentir l’ambition poétique et l’univers fictionnel (très lié, il est vrai, aux ritournelles steiniennes) de Courtaud. Et c’est aussi dans ces trois livres que se cristallise le mieux, je pense, la première manière de la Poétique Expérimentaliste Chaotique Sédimentaire de Pierre Courtaud :

 

1. ses thématiques récurrentes (l’enfance, la mémoire, le temps qui passe, l’histoire (la grande comme la petite), le bouddhisme et sa philosophie, l’Extrême-Orient, la musique, le limousin, les rêves, la terre paysanne, son paysage (le symbolisme et l’imaginaire bachelardien y tiennent un rôle prépondérant) et la ruralité au sens large, la langue et la grammaire elle-même (la réflexivité comme les jeux de langage sont au centre de sa Poétique), le quotidien, les objets du quotidien (je ne compte plus dans les textes de Pierre la référence à des choses, des lieux, des fonctions du quotidien le plus pur et le plus pragmatique – d’ailleurs il dit lui-même à Rouffanche : « (…) afin de montrer que tout peut resservir et devenir matière à poème ou à fiction (c’est pour cela que je me suis appuyé sur John Cage qui est un maître en la matière) » (tiré d’un second texte « Notes sur Travaux et Projets » (qui est un texte sur les livres que P. C. avait déjà publiés) que Courtaud avait également (comme « Notes sur Projets en cours ») envoyé à Rouffanche pour son anthologie des poètes du Limousin. Chine, par exemple, se joue poétiquement chez Courtaud « dans une volonté de retrouver une certaine unité originelle de la langue dans l’humour, le décrochement, les effets de la banalité » (phrase extraite de « Notes sur Travaux et Projets » citée par Joseph Rouffanche).

 

2. sa pragmatique-poétique, liée à son amour pour des auteurs ayant érigé la contrainte (ou le hasard : pour son livre Le Lait Contemporain (LMC, 1990), Courtaud écrit à Rouffanche dans ses « Notes sur Travaux et Projets » : « Je supprime en partie dans ce livre l’antique recours à l’inspiration. Je procède grâce au hasard, grâce à ma propre volonté de disposition, avec toute ma liberté ») comme ligne de fuite (Raymond Roussel, Gertrude Stein, John Cage et surtout Georges Perrec – sur lequel Pierre a publié en 92 un livre hommage : J’ai Vendu… (Hommage à G.Perec), L’instant Perpétuel (l’indétermination au sens Zen & cagien, le travail du fragment, l’usage régulier du monostiche, la valeur ludique du langage (ces jeux formalistes de/sur (la) langue/langage le rapprochent directement de Stein, de Perec, de Roussel, ou de Borgès (on peut dire de Courtaud qu’il a vraiment une manière d’être écrivain qui ambitionne le ludisme de la Bibliothèque Totale borgésien), le formalisme du blanc (dans le même sens que John Cage a utilisé le silence : (sa fonction) laisser dire ce qui doit être dit, comme une fenêtre ouverte sur la langue. Le blanc fait ainsi partie intégrante de l’œuvre poétique / Comme Cage, pour Courtaud : la poésie n’est-elle pas « un jeté de mot(s) dans le blanc de la page » (La phrase originelle de John Cage est celle-ci : La musique n’est-elle pas « un jeté de son dans le silence » ? In John Cage, Silence, trad. par Monique Fong, Denoël-X-trême, 2004), sans bien sûr la contrainte du hasard absolu comme il peut y en avoir chez Cage, un formalisme minimaliste (qui va bien sûr avec le travail sur le fragment ou le monostiche) emprunté à Stein, qui tourne et roule (un peu comme chez les ritournelles de Christophe Fiat – alors qu’à ces époques, entre 1996 et 2000, Fiat n’avait que très peu publié ou alors surtout en revues (Action-Po, Tija, etc.)), le sample/la biopsie/le prélèvement (plus tard, Courtaud a même écrit un livre entier de cut-up, de cut-up remanié, et de cut-up reminescent, avec Les petits quarts d’heure impitoyables de Van Gogh, LMC, 2006, sous-intitulé, Le Livre de La main courante (les trois « L » sont en majuscules sur le livre), qui est en fait un livre fait uniquement de vers, de phrases, de locutions, de propositions, de mots seuls ou plus simplement des souvenirs reconstruits (séparés comme chez Danielle Collobert de tirets) pris aux auteurs mêmes que Courtaud avait publiés dès le début de son angulaire travail d’éditeur à La Main Courante), le conte philosophique (n’oublions pas que Courtaud a publié plusieurs recueils de poèmes, chez de toutes petites maisons, uniquement pour les enfants mais aussi – et surtout – deux contes, chez Jean-Pierre Huguet éditeur, Koubilaï et la tortue, en 2000, et Koubilaï, fils du ciel, qui fut publié avec le premier dans un volume unique en 2007, où Courtaud s’amuse sous des vrais airs de conte zen (philosophique &) d’apprentissage à jouer poétiquement avec tout ce que peut permettre le langage, et où surtout se magnifie vraiment le véritable plaisir (steinien de surcroît) de raconter une histoire, plaisir de narrer que l’on retrouve tout aussi bien dans ses fictions plus expérimentales comme dans L. dans la boutique obscure, La bibliothèque du faussaire, ou le génial Plaisseïs – son magnifique testament poétique avec le Forêt ou jardin comme une gravure avec un manque et dites-le, LMC, qui est sorti lui à la toute fin 2009 et qui sont ses deux derniers livres de poésie), et (surtout – ce qui tient tous ses livres) le travail formaliste du sédiment (on l’a vu, depuis 1985, Courtaud aime juxtaposer et mixer les niveaux d’écritures (et donc de lectures) dans ses textes ; et il en est de même dans ses grands textes des années 90 ou des années 2000).

 

Bon, c’est vrai que ce texte ne se veut pas une étude exhaustive des thèmes et des procédés poétiques courtaudiens, je laisse cela aux spécialistes et il y a, à mon avis, du boulot.

Mais je voulais, puisque Courtaud a eu (quand même) depuis la fin des années 90 quelques textes critiques à droite et à gauche comme dans Le Matricule des Anges, Fluctuat.net ou autres, surtout tenter de vous donner envie de le lire et/ou de le re-lire en essayant modestement d’embrasser dans un même geste et sa biographie et sa poétique. Pour dire qu’à mon avis les deux vont indéniablement ensemble, et que son travail de lecteur-passeur (qui englobe son travail d’éditeur) a beaucoup plus qu’influencer sa propre manière d’être écrivain.

 

4. Les années 2000, qui sont sa troisième décennie en tant que poète, vont être un peu chez Courtaud la répétition littéraire et éditoriale des années 90, mais dans un sens très différent (le numéro de If est passé par là) puisqu’on peut le considérer au début des années 2000, au niveau de son capital symbolique et culturel comme au niveau de sa position dans le champ des poésies de recherches (notons que c’est Pierre Courtaud qui fut appelé pour réaliser la préface à l’anthologie poétique Off d’Huguette Champroux au Bleu du Ciel en 2007), et comme au niveau de sa production proprement poétique et fictionnelle (cf. les livres ci-dessous) comme un auteur (terriblement) important du champ qui exerce une influence indéniable (pour moi, très nettement et ça ne fait que croître) sur de jeunes auteurs, voire comme un paradigme à lui tout seul (disons que, comme le dit son ami Patrick Mialon dans un texte sur sa mort sur le site du CRL du Limousin, son inactualité fondamentale et totalement assumée est devenue de fait une "posture" résolument moderne et moderniste). Alors bien sûr, il continuera à publier chez de petits éditeurs amis comme il continuera à publier chez lui, à La Main Courante. Mais le nom de Pierre Courtaud sera désormais associé, comme d’autres noms d’auteurs "rather underground" de sa génération expérimentale (sacrifiée1) comme Patrick Beurard-Valdoye, Serge Gavronsky, Josée Lapeyrère, Lucien Suel, Alain Frontier, Jean-Luc Parant ou Julien Blaine, à l’excellence poétique expérimentale (avec un E majuscule) de ce début de XXIe siècle et à un positionnement dans le champ quasi indiscutable. C’est aussi une décennie où il se fera encore plus discret, ne quittant pas vraiment la maison familiale de La Souterraine. Il y fera peu d’apparitions publiques – je pense qu’on peut les compter sur les doigts d’une main, et sa maladie chronique (son diabète – c’est d’ailleurs ce putain de diabète qui lui fera faire son embolie pulmonaire en décembre 2010) deviendra beaucoup plus, il me semble, handicapante pour ce genre d’exercices que sont les lectures et autres performances. C’est ainsi que la dernière fois que je l’ai vu c’était à une séance de dédicaces à la librairie limougeaude Pages & Plume le 18 avril 2009 pour la promotion de De naissance et de petites coupures chez Al Dante.

 

 
 

Mais je peux dire aussi que c’est dans cette décennie-là qu’il publiera le plus grand nombre de chefs-d’œuvre intemporels (et je pèse mes mots). Ses livres les plus importants seront d’après moi : Notes pour le RyoanJi en hommage à John Cage (Ecbolade, 2001), Underwood & Compagnie (LMC, 2001), Atténuation lente (LMC, 2001), Journal sans Différence (G&g, 2001), La bibliothèque du faussaire (Castor Astral, 2002), Récit d’une petite mort blanche avec les objets qui l’accompagnent (Atelier de l’agneau, 2004), Quelques figurations mises à part : induire, sonore, rivière (Le bruit des autres, 2007), Petite théorie du passage (alidades création, 2008), De naissance et de petites coupures (Al Dante, 2008), Forêt ou jardin comme une gravure avec un manque et dites-le (LMC, 2009), et son tout dernier le magnifique et (hautement) visuel : Plaisseïs (LMC, 2010).

 

Tous ces livres sont au sens de la poétique Courtaudienne des vrais livres de poésie.

 

Il n’est pas question ici de tous les disséquer intégralement, ce n’est d’abord pas mon travail (je ne suis pas critique littéraire et surtout je n’ai pas fait ce genre d’études – tout ça pour calmer a priori ceux qui seront déçus que je ne parle pas de tel ou tel livre ou ceux qui seront frustrés que j’en parle si mal).

 

 

 
 

Je vais donc tenter de vous les évoquer, en mettant l’accent sur mes préférés. Mais en vous disant tout de même que si vous ne savez pas (du tout) où commencer pour lire Courtaud, je vous suggère les deux livres chez Al Dante (normal, c’est aussi mon éditeur) – surtout De naissance et de petites coupures de 2008 (qui est, à mon humble avis, tout simplement, son putain de chef-d’œuvre – car le montage du texte tout entier construit sur des prélèvements journalistiques d’événements politiques, sociaux, historiques, etc. du 26 décembre 1951 – jour de naissance de Pierre – mis en vers et retravaillés par l’auteur, jouant et mixant les niveaux d’écriture, se voulant le kaléidoscope mémoriel ultime (achevant par là même les autres livres où il évoquait son enfance ou sa famille), dessine bien en contre-point une auto-analyse qu’on pourrait qualifier de sociologique de l’écrivain quinquagénaire Pierre Courtaud qui est in fine en forme d’ultime manifeste méta-poétique), et le livre du Castor Astral – tous trois assez faciles à trouver sur le net ou à commander en librairie, et surtout vous verrez que je ne vous ai point menti sur la réelle envergure poétique de Pierre Courtaud. Sur les onze livres que j’ai cités plus haut si je ne devais en garder qu’un, je choisirai, sans aucun doute : Atténuation lente. Peut-être pas le plus représentatif de sa dernière période (De naissance… l’est beaucoup plus, sans parler du bouillonnant Quelques figurations mises à part… qui sont tous les deux dans la droite ligne de sa P.E.C.S. : Poétique Expérimentaliste Chaotique Sédimentaire). Atténuation lente est un recueil de poèmes où le minimalisme et le blanc se taillent la part du lion (on sent que Pierre publie à la même époque Jean-Paul Chague ; et l’on sent aussi de nouveau sa passion pour le formalisme froid post-Du Bouchet). Et ce livre est tout aussi étonnamment, voire fondamentalement intempestif, rapport aux productions contemporaines de ce texte de Pierre, que ne l’était son chef-d’œuvre première manière des ‘nineties’ L’Amante noire (LMC, 1991), rapport aux Tentative de restitution des lieux… et autres C’est dans le journal que j’ai appris la Mort de Richard Coeur-de-Lion… où pointaient déjà largement sa P.E.C.S. Alors oui, Atténuation lente est un texte royet-journoudien (l’on ne se refait pas – et je parle là pour moi) hyper mélancolique mais c’est aussi et surtout un texte de deuil (comme l’était au fond L’Amante Noire), un texte d’après la mort de sa mère en 2001. Pour après (et donc continuer à vivre) et comme ultime souvenir de sa présence (qui fut donc et à tous les sens du terme une « atténuation lente » jusqu’à sa mort). Comme l’indique les quatre parties de ce petite livre (59 pages ; format 12×18 cm) :

 

Atténuer en fiction / Sainteté soudaine / Feindre l’autorité soudaine / « Je prie », dit-elle. Ce livre m’a éblouit. M’a touché. Si profondément que pour moi il reste fondamentalement son plus grand livre de poésie (au sens stricte / pas au sens PECS) comme L’amante noire en 91, dix ans auparavant. C’est drôle ça (questionnant, pour le moins), deux textes de deuil en 1991 et en 2001 et la mort de Pierre (le texte de deuil ultime) arrivant comme programmée sur un grand ordinateur en 2011 : le 11.01.’11.

 

 

 

P.S. : J’aurais bien sûr aimé parler de la Petite Théorie du Passage (alidades & création, 2008) dont j’ai samplé quelques vers pour mon Stilnox, à paraître chez Al Dante, au troisième trimestre 2011, et que je relis fréquemment, comme Atténuation lente d’ailleurs qui me bouleverse à chaque nouvelle lecture. J’aurai également aimé parler de son ultime roman, car Courtaud n’a, au fond, jamais renoncé ni au lyrisme (dans sa poétique PECS) ni à la narration pure, comme en témoigne si bien Koubilaï  en 2007 ou La Bibliothèque du Faussaire au Castor Astral en 2002, livre que je n’ai pas su/pu retrouver dans ma bibliothèque (c’est pour cela qu’aujourd’hui j’en ai commandé un tout nouvel exemplaire sur Amazon.fr). J’aurais tout autant aimé parler de Underwood & Compagnie, qui est, si Les petits quarts d’heure de Van Gogh est le livre de La Main Courante, le livre de non seulement l’Underwood mais aussi de toutes les autres grandes machines à écrire (Gainsbourg et sa Remington, Denis Roche et son Hermès 3000, Huguette Champroux et sa Brother, Claude Pélieu et sa Royal Alpha 100, Hemingway et sa Corona, Jack Kerouac et son Underwood, Brautigan et son IBM, Butor et son IBM, Henri Chopin et sa Letera 32 Olivetti, Pierre Garnier et sa Remington, Blaise Cendrars et sa Remington, Gertrude Stein et sa Smith Premier). Il aurait fallu aussi que je parle de Forêt ou jardin comme une gravure avec un manque et dites-le. Qui est 10 ans plus tard le livre de la tempête qui secoua tout le sud-ouest français et notamment le Limousin en 1999. Où l’on voit des vers qui sont comme des arbres et une gravure de Guy Teste qui est comme un poème chinois. Et il aurait fallu que je parle de Plaisseïs, son tout dernier livre, qui se lit comme le moment ultime parachevant sa PECS et montrant un goût du visuel (à la manière des grands poètes visuels que sont Pierre Garnier, Jean-François Bory ou Julien Blaine) que l’on ne retrouve que trop peu dans sa bibliographie monumentale (j’ai enfin compté : j’ai 37 livres de Pierre Courtaud seul dont le plus vieux date de 1981 et j’ai 102 livres différents (sur 142, c’est pas mal) de La Main Courante : tout cela valait bien un putain de texte comme celui-ci). Il aurait fallu. Ça nécessiterait du temps. Un temps que je n’ai (malheureusement) matériellement pas. Mais il aurait fallu. Pour rendre encore plus vivace et vivante la géniale Poétique de Pierre Courtaud. Mais comme le dit son ami Patrick Mialon, il est parti, sorti en catimini, comme sur la pointe des pieds. Et cette sortie était bien sûr tout à fait dans le style de Pierre Courtaud. Cet adepte maximaliste de la discrétion & du retrait. Le poète ou On ne sait quoi. Un roi, peut-être.

 

(1) Cette génération poétique véritablement expérimentale et expérimentaliste fut de fait sacrifiée parce que si certains de ces auteurs n’avaient pas de bonnes (et/ou importantes) maisons d’éditions (comme Liliane Giraudon qui était chez POL dès le tout début des eighties, ou Jean-Marie Gleize qui s’en est sorti grâce aux livres publiés tout au long des années 90 au Seuil, ou encore Christian Prigent qui à la toute fin des années 80 fut publié chez POL voire Eugène Savitzkaya qui fut dès 1977 aux historiques Editions de Minuit), ils étaient in fine obligés soit de créer leur propre maison d’édition (comme Courtaud, Beurard-Valdoye, Anseeuw, Blaine, Suel, Favretto, Michelena, Donguy, etc.), soit de publier chez de toutes petites maisons du "champ de production restreinte" donc (pour reprendre le concept de Pierre Bourdieu). Ces petites maisons (parfois séminales ou angulaires) qui ont dès lors joué le rôle en résistant de "niches sans marché ou de niches pour un marché ultérieur" (comme dit Bourdieu) ont aussi véritablement contribué à créer et à définir donc pour ces auteurs-là un espace littéraire viable comme elles ont contribué à re-définir et à re-structurer le champ poétique français de telle sorte qu’ils y purent prendre (au sens strict) et ainsi conquérir leur place dans le champ littéraire et poétique français contemporain. Pour certains de ces auteurs-là comme Pierre Courtaud, ça a mis trois décennies, pour Lucien Suel, également. D’autres n’ont malheureusement pas eu cette chance du tout. Et sans doute, certains ne l’auront jamais. On peut même ajouter que si certaines maisons d’édition entièrement dédiées à la poésie contemporaine expérimentale (et sonore, visuelle, rock, etc.) comme Al Dante, Le Bleu du Ciel, ou dans une moindre mesure la collection poésie d’Yves di Manno (qui fait partie de cette génération) chez Flammarion, n’avaient jamais vu le jour, tout le champ poétique expérimentaliste français (et je parle, notamment, de ma génération) se retrouverait, à la fin des années 90-début 2000, comme au tout début des très react’ (et néo-libéralistes) années 80 dans le champ poétique global français. On a eu chaud.

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rédaction

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