[Chronique] Jérôme Bertin, Le Patient

[Chronique] Jérôme Bertin, Le Patient

novembre 27, 2012
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Jérôme Bertin, Le Patient, Al dante, automne 2012, 64 pages, 12 €, ISBN : 978-2-84761-812-9.

Avec Le Patient, plus qu’avec le récent Bâtard du vide, Jérôme Bertin montre parfaitement que l’on peut s’inscrire en droite ligne de Bukowski sans tomber dans le topos du "poète maudit". Ce récit subversif nous plonge dans l’univers concentrationnaire du centre hospitalier spécialisé : là où notre société abandonne ses patients. La boucle est bouclée : le monde actuel suscite la Nausée hypermoderne, laquelle vous conduit tout droit dans un microcosme nauséeux. "C’est parti pour un trou !"… Mais c’est du Kafka bien écrit ! Pour qui ? "la majorité des lecteurs sont des bourgeois aux gènes mous et dégénérés, les autres travaillent (prolos), ou volent (lascars), et n’ont pas le loisir de s’user les yeux sur des hiéroglyphes aussi douteux qu’inoffensifs"… Avis aux im-patients et aux normopathes !

Bienvenue à Dingoland, c’est-à-dire à Lomelette : "Fleury-Mérogis à côté doit ressembler à Eurodisney" (14). Un hôpital psychiatrique dans la métropole lilloise a de quoi donner la Nausée : "Les hôpitaux psychiatriques sont au cerveau ce que la chirurgie esthétique est à la beauté, un leurre caractérisé, une escroquerie pute, un stellionat" (35)… "Compte-t-on soigner la nausée en plongeant la tête du malade dans un saladier rempli de bouse fraîche ?" (34)… Dans cet enfer concentrationnaire où on soigne "du dégoût par l’horreur" (20) et où se déroule "la lutte des crasses" (23), les patients sont des SIF (Sans Identité Fixe) et les acteurs – aliénés ou aliénants – sont désignés par des synecdoques ou des métaphores dévalorisantes ("deux vulves en coton", "deux entonnoirs", "bon Dracula de la culasse"…).

La réussite de Jérôme Bertin est de n’être pas tombé dans le fade réalisme ambiant, n’hésitant pas au contraire à nous livrer une vision hallucinée : "Le psychiatre grimpe au mur et se met à marcher au plafond. Il rit comme un dément et récite le corbeau et le renard en javanais. Les murs rougissent. Le pachyderme explose et le patient se retrouve crépi de frites prédigérées. Une odeur de pet au couscous envahit l’atmosphère. Le patient voudrait s’enfuir, mais il ne chausse plus que du 2 et n’arrive pas à se lever" (16)… D’avoir rendu compte d’une expérience extrême, la maladie du sens, par une écriture rageuse toute en dérapages – du signifié comme du signifiant. La catastrophe du sens se traduit en effet par une série d’à-peu-près : "Lomelette est un camp de la morve, un château porc de bas étage" (36), "un parc d’Ataraxion" (29) où, "condamné à mordre" (16),  il est impossible de "dépasser le mur du con" (32)… Là, les rêves ne sont que "de glaire froide" (27) ; l’angoisse décrète que "la femme est l’avenir du mélanome" (55)…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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