[Libr-relecture] Michaël Glück, ... commence une phrase, par Christophe Stolowicki

[Libr-relecture] Michaël Glück, … commence une phrase, par Christophe Stolowicki

janvier 18, 2020
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Libr-relecture] Michaël Glück, … commence une phrase, par Christophe Stolowicki

Michaël Glück, …commence une phrase, Lanskine, 2019, 64 pages, 13 €, ISBN : 979-10-90491-98-4.

 

Quand « commence une phrase arrachée / à l’encre du sommeil », une phrase de réveil dont « quelques points de réticence / sont reliques de la nuit » – bientôt de vif-argent, d’esprit alerte –, ce qui vous prend au plexus est une voix profonde, grave, creusant son sillon de nuit dans l’ajour, de jour en jour faisant remonter de l’âme, celle qui a avantageusement remplacé le psychisme.

En résidence à la Maison de la Poésie de Rennes, Michaël Glück a vue de sa chambre sur « le canal », le canal Saint-Martin appelant la Vilaine qui coule non loin de là et rappelle la Seine, « autant qu’il m’en souvienne » dit-il. D’autres refrains s’y emmêlent, au bon Guillaume « Nezval / Vitězslav qui ne fut Gérard », poète tchèque surréaliste, donne la réplique, il s’en compose « un air unique […] une complainte / dont je n’ai jamais su l’auteur […] un air que me chantait ma mère […] un air aux doigts de pluie / un air de verres de cristal […] // qui tient à distance / la litanie des morts et les noms des absents / dont les lèvres jamais / n’ont effleuré mon front ». Ne disent « le bon jour […] dobrý den / ni rives du Saint-Laurent / ni bord du canal Saint-Martin / […] dobrý den good morning / guten tag buon giorno », son gosier de métis parle toutes les langues.

Quand « le jour ne s’est pas levé / la nuit ne s’est pas / enroulée dans le store // quelles écritures / dorment encore / dans la torah de la lumière » : à même le paysage de nuit urbaine étirant des « lignes de réverbères », l’identité juive émerge de ses siècles obscurs, quelques bribes restées accrochées aux buissons nocturnes, aux frissons de l’urne. À corbeaux accords beaux qui lèvent un pan de nuit, une poésie éminemment masculine – sobre, peu d’enjambements, ni majuscules ni autre ponctuation que celle de la poésie – de proche en proche rapproche le dissemblable pour que commence une phrase. Omniprésente l’Histoire récente où culminent les gammées « rouelles de Saint-Louis », et quand derechef « une croix à l’endroit / une croix à l’envers / la parole tricote / […] l’évangile des reniements ». Oui, « l’Histoire la grande histoire / peuple mes nuits […] on ne sait quel corbeau / a dépeuplé la nuit » sur la plaine quand s’élève le chant des partisans. 

Résidence d’écriture vaut mieux que villégiature où « le cèdre des derniers jours / n’a pas laissé sur les paupières / son tatouage d’aiguilles bleues », où « dans la chambre d’hôtel / sur l’oreiller / des questions sont restées sans réponse », où « derrière les rideaux / la vue est arrêtée », où barré le regard intérieur, d’isthme en isthme rien ne desserre ne dénoue le lancinant tourisme.

Remonte ce quelque chose de viscéralement juif athée, d’un athéisme où le vers a la rigueur de la prose, que je ne saurais nommer : judaïsme trop religieux, juiverie péjoratif, c’est peut-être ce sans nom oblitéré par les siècles qui s’exprime ici.

Ici « (…) // les mots du rêve sont buée / salive sans sel sur les lèvres / du dormeur qui s’éveille ». Un doux rêveur ? Non, un fort, lucide, inspiré rêveur. Dans un monde où l’action est bien la sœur du rêve.

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rédaction

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