[Libr-retour] Pot-pourri exquisite, par Christophe Stolowicki

[Libr-retour] Pot-pourri exquisite, par Christophe Stolowicki

avril 28, 2019
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Libr-retour] Pot-pourri exquisite, par Christophe Stolowicki

Lyn Hejinian, Gesualdo, traduit par Martin Richet, Éric Pesty, 2009, non paginé, 9 €.
Marie-louise Chapelle, Tu (maniériste), Éric Pesty, 2017, 48 pages, 12 €.

Un madrigal à quatre voix, maniériste, coupant court, bel écho, déployée. Carlo Gesualdo, ou Don Carlo Gesualdo di Venosa (1566 – 1613), aristocratique compositeur de la fin de la renaissance italienne et meurtrier présumé, prétexte à Lyn Hejinian, 1978, que traduit Martin Richet, 2009, dont se nourrit longuement Marie-louise Chapelle, 2017. Lire à trois voix (de garage, toutes, voire de jardin de curé), brièvement imprégné de la quatrième (ou première), pur tremplin.

De Lyn Hejinian l’écriture lacunaire, ajourée, que ne lâche pas le fil rouge d’une télégraphie. Abolis, surinvestis des pans entiers du discours. On comprend vite que cette liberté, cette désinvolture relèvent de l’ultra-syntaxe. Gertrude Stein omniprésente, avec un tour de vis. Compressé d’intellect, des abysses d’une virgule remontent cinquante vies en une. Sa phrase scorpion, sa phrase croupion. Les croupes qu’elle taille dans la langue dont rejaillissent des bribes de pur intellect. Un convulsé de la raison pure. Un taille-layon, à cru. Les sentiers de l’amour maniériste, ses scalps, ses palpes, ses tentacules. Ses références musicales, ses harmoniques, ses meurtrières, ses hallebardes comme une éthique de l’inconnaissance. Rarement, quelques spropositi regroupés dans une clairière de pur sens. Le nerf à neuf, ce qui innerve, ce qui dénerve, synapses relaps à électro-chocs.

Martin Richet s’approprie le secret de cette langue en haut croisé de la traduction, portant double bannière. Ouvrant, refermant le ban du littéral et de l’abscons. En son français qu’un pèse-nerfs absout, de résolution ultime, homonyme de l’américain second. Un pot pourri que l’appeau lève.

La lecture déliée de Marie-louise Chapelle fait ressortir de Lyn Hejinian le zeugme seconde nature, mais pont ici suspendu, pantalon à pont d’appoint qui tombe à nos genoux. Entre zeugme et anacoluthe, la rupture syntaxique à bout touchant. Rarement cadavre exquis n’a rendu cette fragrance de pot-pourri exquisite.

Les trois débuts :

« Gesualdo d rests his life faithful, his, in pieces, / are discontinuous and harm the use, who did / not lack intensity. c and highly individual the / murder which was married between instances of / workmanship and reduction. Their dramatic / exclamations push the basic scale a time of the / more true. b whose fame rests on her lover and / between. The first vocal in the first four in the / last two are discontinuous and harmonic to an / introduction ».

« Gesualdo, désormais disparu, d, gît sa vie / loyale, sienne, en morceaux, sont discontinus / et nuisent à l’usage, lui qui ne manquait / d’intensité. Circa, c, et hautement singulier le / meurtre marié entre instances de métier et de / réduction. Leurs exclamations dramatiques / repoussent l’échelle fondamentale une époque / du plus vrai. Apparu, a, dont la gloire porte / sur l’amant et au milieu. Les voix initiales aux / quatre premières aux deux dernières sont / discontinues et harmoniques à une / introduction. »

« Tu arrêtes ton vers fini, et ta, ensemble, sont étalés et / dupent la manière, qui n’enlève pas une signification/      Et volontairement équivalente la fiancée qui était / retenue là une manufacture entre la jambe et ici / réplique      Leurs voix expertes déplacent la gamme / une fois sur plus d’émotion    La note arrête / l’exécution sur elle et entre     La première main dans la dernière à deux sont étalées et dissonantes comme / commencement. »

Par quelle alchimie la traduction, le commentaire (ce comment taire évasé par Chapelle) tournebrochent-ils le cadavre encore fumant de ses notes premières (en américain la, do et ré s’écrivent a, c et d) en ce délice, ce dé lissé dévissé de son compositeur initial. De quadruple Renaissance, la composition pose et repose, expose, l’implosion fait long feu.

« though he lived most of his life » traduit par Richet par « quoiqu’il eût vécu la plupart de sa vie », d’une littéralité qui rend l’accent américain comme « le gros » l’eût grasseyé. Il saute des phrases quand cela casse son rythme, condense et apparie. De la romance tournant à meurtre il conserve de préférence la catalyse, la mise en abyme cou coupé à la manière de Gertude Stein.

Après les trois premières strophes, Chapelle s’émancipe du texte premier et second, digresse à longs traits, s’approprie matière et manière, explicite à tâtons – à l’opposé de Richet, développe le tragique de la romance. Ses blancs dénouent les compressions abruptes de Hejinian. Son Tu est tu pour taire mais davantage s’adresse, tantôt à Gesualdo, tantôt à Hejinian, entre le compositeur au long cours et l’interprète coupant court, tresse le conte fatal. Récit tout en reprises, fugues et contrepoints, parfois un dialogue. Est une fois comme il était, comme il neigeait, « comme il savait de savoir ». Comme un coup de luette sur l’arrière-pays des choses, à tu la narratrice à soi à même s’adresse, en l’héroïne transplantée, vers à vers critiques se disperse le contrepoint final.

Encadrant un livre dans le livre, fable sertie assortie – la couverture à l’unisson.

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rédaction

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