[Livre + Chronique] <strong> d'Arnaud Maïsetti" />

[Livre + Chronique] « où que je sois encore… d’Arnaud Maïsetti

mai 6, 2008
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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  Arnaud Maïsetti, "où que je sois encore…, ed. Seuil, col. Déplacements, ISBN : 978-2-02-096156-1, 17 €.

[4ème de couverture]
Des voix donc. Des voix qui creusent de la manière la plus directe et la plus simple la saisie du monde un temps offert à sa profération possible. Alors seulement, voix du dehors (de la ville qui pénètre ici, et qui écrit), voix du dedans (de la langue qui lui répond). Que cette ville, cette époque-là, ce monde qui eut un nom, et qu’on écrit dans son oubli, qu’on écrit dans sa perte, que cette ville et ce monde demeurent, est la seule chose dont nous puissions témoigner.

[Chronique]
Tout commence par une voix qui parle du rythme du monde. Crâne, au centre des bruits de la ville qui s’estompent, au centre d’une pièce, au milieu des voix, écoutant celles-ci qui à l’entour, traversent la ville. Premières pages, et une image s’impose, celle étrangement de l’ange des Ailes du désir de Wim Wenders. Si la voix est personnelle, elle est d’abord recueil de tout ce qui a lieu. "Je sais entendre et reconnaître; voir et déchiffrer : écouter ne plus parler" (p.17). Mais celui qui accueille, n’est pas ange, il est corps. Les anges ne sont pas fatigués, or pour celui qui s’exprime "la fatigue est si grande". D’emblée, Arnaud Maïsetti, nous met dans un suspens. Celui de cette nuit, qui commence à 21H38, et qui s’achèvera au matin, à la suite d’un second rappel temporel : 4h17. D’emblée, dans une chambre, isolée, une voix s’exprime, en marge de ce qui a lieu, mouvement des corps, de la pluie, et une seconde image pourrait surgir, en liaison à ce monologue, qui ne serait pas étrangère à l’auteur, spécialiste de Kotès, seconde image qui serait La nuit juste avant les forêts. Un peu une même ambiance, celle de la ville le soir, la pluie, une chambre. Mais situation divergente.De même certains passages font penser à l’univers urbain de Dans la solitude des champs de coton et à la relation transactionnelle du client et du dealer, notamment lorsqu’il raconte l’histoire avec un voleur de porte-feuille, au sens où il est question de trajectoires que l’on coupe, de relations d’hommes dans la nuit.

Si des images, des textes surgissent, c’est qu’immédiatement, la prose d’Arnaud Maïsetti, même si elle se constitue dans un monologue, donne à voir, à constituer un monde. Mettant un crâne au milieu, l’exploration du crâne se fait en miroir de l’écoute du monde, car le dehors envahit le dedans du narrateur (p.21), les fragments du réel plissent la pensée, tout autant que la pensée découpe dans la char sombre de la nuit, un réel qui par la nuit se travestit d’irréel. Le narrateur raconte l’histoire de la nuit, comme il le dit à plusieurs reprises, il est "à la dictée", les micro-événements de la nuit lui dictent ce qu’il énonce, ce qu’il répète. Car être à la dictée, c’est réécrire ce qui s’est écrit, c’est avoir une parole soufflée. Cependant, la parole, les mots ne sont pas là pour éclairer la situation, car, tel qu’il l’écrit "il fait davantage nuit dès qu’un homme parle — l’obscurité du noir est ininterprétable : et s’y livrer épaissit encore la nuit" (p.73). Ce que la narration explore ainsi, n’est pas seulement la nuit, est plus que la nuit, se dévoile comme le chaos qui naît de l’obscurité. "Le chaos n’est pas comme la nuit. (…) Le chaos sans délai prend possession de tout ici-bas de terre et de ciel emmêlés. (…) Le chaos comme moteur unique de l’histoire" (p.80-81). La voix qui monologue est en lutte face au chaos qui veut l’avaler, combat contre un chaos qui mêle les ombres de la nuit et tout à la fois mêle les pensées de l’homme qui repose au milieu de son crâne.

La beauté du texte, car ce livre est d’une rare beauté littéraire, tient à cette dilatation de la dictée par rapport au silence qui s’installe, à la rareté de ce qui a lieu, aux événements qui s’amenuisent et qui pourtant par leur distance, deviennent grâce au travail de la langue, de véritables moments de tension. Arnaud Maïsetti réussit à nous plonger dans cette voix, à faire qu’elle devienne notre. Lire ce livre la nuit, quand le silence s’est installé, quand seule notre pensée bruisse dans le calme tamisé du noir.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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