[Texte] Emmanuel Régniez, Séries (7 & 8)

[Texte] Emmanuel Régniez, Séries (7 & 8)

avril 23, 2016
in Category: créations, UNE
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[Texte] Emmanuel Régniez, Séries (7 & 8)

Nous poursuivons la publication d’une série de textes variés d’Emmanuel Régniez. Entre work in progress et projets déjà bien établis. Nous le remercions pour la confiance accordée à Libr-critique.
Emmanuel Régniez, né en 1971 à Paris, a habité Paris, Lyon, Tours, Lille, Tokyo, et maintenant Bruxelles. Il a publié L’ABC du Gothique, au Quartanier, en 2012. Et Notre Château, au Tripode, en 2016. [Lire 5 & 6]

Des formes courtes et intenses, l’esprit d’ironie mêlée à un questionnement sur la trace du souvenir dans la reconfiguration d’une filiation imaginaire. De la position infiltrante de flibusterie sociale et critique à la figuration de mouvements internes plus intimes, dans ces mouvements de vérité sur l’identité, de troubles instillés et copulation sémantique entre fantasme et fantôme, le frottement des âges et des générations, le sentiment d’enfance et son inscription mnésique, la visée pulsionnelle remaniée, la réalité en ces modulations obturées ( le jeu de volets, paupières), conférant une gradation fine à la langue déployée, nous plaçant dans ces jeux de mentir vrai, les yeux grands ouverts dans l’incapacité de donner date à cette épreuve du sentiment, dans l’incapacité d’en saisir toute la logique profonde, de ces mondes de mondes, que l’auteur définit monde à soi, à saisir comme autant de formes de formes, passant d’un décompte impossible et vertigineux du comment cela a commencé au plan de l’idée, microbienne  saloperie, à la reconnaissance de la chose, non chosifiée et fixiste, mais dans sa dimension de flux, de constellation à y greffer du possible, de «  mer » , des corps dans le déploiement du désir, de cette puissance qui écoute et rassure dans sa disparition même, une cause pratique de nos logiques de mondes, toujours, de mondes à soi. /Sébastien Ecorce/

 

-VII-

C’est difficile. C’est même impossible de savoir comment, de savoir quand, les choses ont commencé. Lui, pourtant le sait. Il sait quand et comment ça a commencé. À la minute. À la seconde près. Il y pense constamment. Sombre. Furieux. Comme un homme en pleine forme qui est soudain miné par une maladie sournoise. Il sait comment elle est entrée dans sa tête cette idée. Cette saloperie d’idée. C’est pas un microbe. C’est pas comme un microbe. C’est une idée. Une saloperie d’idée. Ça commence par une petite tache de rien. De rien du tout. On n’y fait pas attention. Puis on la regarde de temps en temps, cette petite tache de rien. De rien du tout. Elle grandit. Cette tache. Cette idée. Cette saloperie d’idée. On essaye de la chasser. On gratte toujours plus vite. Plus fort. Et puis finalement, un jour, il faut bien aller chez le docteur. Et bien c’est la même chose avec cette idée. Cette saloperie d’idée. On a beau gratter. La gratter. Elle est là. Elle reste là. Cette idée. Cette saloperie d’idée.

 

-VIII-

Elle reste étendue sur le lit, dévastée, nue, cuisses écartées. La tache sombre du sexe, un filet de sperme. Vivre la scène à l’état brut sans se poser de questions, vivre la scène ainsi, sans se poser de questions. Est-il heureux ? Oui, sans hésiter. Il ne lui en veut pas de lui avoir mordu la lèvre. C’est un tout. Cela fait partie d’un tout. D’elle et lui. Cet après-midi faire l’amour, se laisser aller, se faire mordre la lèvre. Il tapote sa lèvre avec une serviette de bain humide. Ta femme. Oui. Elle va se poser des questions. Je ne crois pas. Elle t’en pose parfois ? Des mots, encore des mots, mais les mots ont-ils de l’importance quand on vient de faire l’amour, quand on a le corps encore sensible, quand on a la tête un peu vide. Tu m’aimes. Je crois. Il ne sourit pas. Sa lèvre mordue lui fait mal. Il plaisante pourtant. Oui, il l’aime. Bien sûr qu’il l’aime. Tu en doutes ? Mais non.

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rédaction

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