[Chronique] Jacques Cauda : ce que l’image montre, par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Jacques Cauda : ce que l’image montre, par Jean-Paul Gavard-Perret

octobre 31, 2018
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[Chronique] Jacques Cauda : ce que l’image montre, par Jean-Paul Gavard-Perret

Jacques Cauda, Peindre, Editions Tarmac, Nancy, 2018, 72 pages, 15 €.

Pour Cauda – artiste et poète prolixe et d’exception – l’homme, le mâle, devient un bois flotté plus qu’une épave pour peu que « peindre » le sauve. Seul l’artiste a le don de transformer les agonies en petites morts de joie avant que l’oiseau ne batte de l’aile et bleuisse.

Tout est donc fait chez le peintre – et dans cette suite de textes qui constitue son corpus « théorique » pour l’essor et afin que la peinture dans sa fièvre organique soit à la fois sanguinaire et solaire. Il faut à ce titre imaginer Cauda heureux au milieu d’égéries aguichantes et dépravées dont les cris du coeur vont de paire avec de potentiels orgasmes. Mais les plus forts sont provoqués par la peinture qui ouvre le corps plus que le phallus triomphant.

Jacques Cauda apprend ici au jeune artiste (mais pas seulement) à faire lever du fantasme tout en le décalant par la feinte de l’humour et en « fractales de fragmentation / d’entière nue pro-création ». Un tel monde peut sembler irréel mais c’est très bien comme ça. On n’en demande pas plus tant l’art manque trop souvent de morsures de joie. Et Cauda ne s’en prive pas. Même s’il appelle à d’autres blessures afin que le corps de la femme travaille le regard et l’émotion sensorielle de l’homme.

Existent là des appels au meurtre (métaphorique bien sûr). La peinture est là pour ouvrir d’innombrables portes afin de franchir les frontières de l’incommunicabilité par effet de transgression. Il n’est plus d’autre miroir que celui de l’artiste comme l’illustre ses propos. Joue dans le cadre de chaque tableau la jubilation des hasards et d’éphémères (mais nécessaires) brasiers.

Face à l’homme bandé comme une arbalète les femmes apparemment mal menées sont fières à juste titre de leurs deux mangues de Satan qu’elles négligent de cacher et que souligne de noir les peintures de Cauda.

Ni elles, ni lui ont quelque intérêt à la fidélité. Soudain, seule l’érection de la peinture en son épandage fertilise l’âme androgyne qui règle la naissance des éclairs que l’art « éternise ». Restent des seins tendres mais si fermes qu’ils en paraissent durs. Le lit est remplacé par la toile tendue : à la façon d’une mer, elle monte vers le regard. Les murs de la chambre sont remplacés par ceux de l’atelier. Chaque portrait devient le lieu d’où l’on retourne comme d’avant naître.

Voilà pourquoi il faut aimer la peinture nous dit le pirate. Il allie l’ascèse du tigre à l’exubérance de l’escargot pour entamer des prières (athées) de mains décroisées. Elles peignent les corps là où la sensualité prend des formes paradoxales. L’artiste transforme la chute en suspens au-dessus du vide afin de procurer des crampes d’utopies.

La peinture devient l’apprentissage d’un vertige et la nécessité de sauver ce qu’il y a de plus fugitif. S’y embrasse la fragilité de l’incertitude, les gravitations intempestives, des violences enjouées, des tourbillons de déséquilibres. Existent d’étranges extases par la grâce des images. Et le regard saisit l’aujourd’hui lorsque Cauda écarte les cuisses de ses modèles pour voir dedans ce qu’il nomme « l’ordre intime ».

Le rêve ou le cauchemar devient éveillé par celui qui décapite le sommeil. Non seulement il le montre : il le dit pour rappeler la « déferlante » qu’engage l’art et son ardore : « pleine d’embûches / La stratégie qui s’y déploie/ L’a fait surnommer le Peintre ».

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rédaction

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