[Chronique] Werner Herzog, Œuvres, volume 3, par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Werner Herzog, Œuvres, volume 3, par Jean-Paul Gavard-Perret

octobre 14, 2015
in Category: chroniques, UNE
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[Chronique] Werner Herzog, Œuvres, volume 3, par Jean-Paul Gavard-Perret

Une fois n’est pas coutume, un Libr-regard du côté du cinéma…

Werner Herzog, Œuvres, volume 3  (1984 – 1999) , Potemkine & Agnès B, Paris 2015.

 

Plus riche en documentaires qu’en fictions ce volume 3 des films de Werner Herzog propose des œuvres peu connues du réalisateur, dont Cœur de Verre et son chemin d’hypnose. Celui qui avait recherché Lotte Eisner agonisante en réussissant un parcours de Rédemption de Munich à Paris pour la sauver selon une marche forcée (relatée dans son livre Le chemin des glaces) fait de son œuvre un cinéma extatique. Il rejoint le réel et le rêve là où le créateur se met toujours dans des situations extrêmes, voire de souffrance entre chutes et renaissances déterminantes à sa vie et son oeuvre.

Chaque film brouille les frontières entre documentaire et fiction, et proche d’un Virilio il cherche toujours des présences de catastrophes dont Fitzcaraldo et Aguirre furent les points d’acmé. Les films du volume 3 ne vont pas aussi loin et sont plus autarciques. D’autant qu’à partir de la fin des années 70 le réalisateur est lâché par la critique (allemande en particulier) en raison de son « wagnérisme » fou. Les films de ce volume sont donc ceux d’après cette chute. Herzog vit alors à Los Angeles et rompt presque définitivement avec l’Europe. L’auteur y assume ses échecs, sa folie, son état de voyance.

Jusqu’au cœur de ses documentaires (sorte de pied à terre du fictionnel) le réalisateur reste dans l’excès.  Il saisit des êtres qui vivent leurs passions jusqu’au bout. Mais Herzog les approche non sans ironie, humour et provocation au sein même de l’aspect radical de l’œuvre. Sa renaissance critique apparaît en 2005. Celui qu’on accuse d’être un bonimenteur (speaker envahissant de manière volontaire) prouve combien ses films sont habités de grotesque et de burlesque. Face à la doxa documentaire, le réalisateur propose sa propre mise en scène. Il se veut autant baroudeur qu’autoparodique – et invente au besoin une « pensée » de Pascal dans le goût du jeu, de l’interdit de l’imposture mais aussi de la vérité.

Dans son film sur l’alpiniste allemand Messner, Herzog joue à la fois de la légèreté et de la mort. Le film est construit sur la fraternité et le rire jusqu’à l’épreuve de la mort. Seul cinéaste à avoir écrit sur tous les continents (Antarctique compris), il multiplie les rapports avec une pluralité de cultures, même s’il refuse d’être assimilé à la mythologie New-Age et préfère l’extase matérialiste et chimique non liée à une quelconque transcendance – selon lui parfaitement naïve. Se confrontant à des cultures foraines il sait pour autant que tout type de fusion chamanique est impossible.

L’artiste met en scène des mondes contigus et inaliénables aussi bien au sein même de l’occident qu’ailleurs. Il y cherche le sauvage, l’extra-lucide dégagé de tout modèle aussi bien dans l’autre que dans lui-même. Cultivant la distance, Herzog refuse l’osmose : elle reste pour lui une vue de l’esprit. C’est ce qui donne à ses œuvres leur caractère particulier. Elles sont éloignées autant du romantisme que du vérisme dans ses personnages border-lines et hors normes. Qu’ils soient handicapés ou héros, il se sent en confraternité agissante avec eux. Klaus Kinski au premier chef. Monstre sauvage et raffiné, victime et bourreau il est le reflet du réalisateur qui cultive envers lui haine et amour.

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rédaction

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