[Livre-chronique] Wahiba KHIARI, <em><strong>Nos silences</em></strong>

[Livre-chronique] Wahiba KHIARI, Nos silences

septembre 21, 2009
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Wahiba Khiari, Nos silences, coll. "Éclats de vie", éditions Elyzad/Clairefontaine, Tunis (diffusion en France), août 2009, 128 pages, 13,90 €, ISBN : 978-9973-58-018-4.

Ce récit de corps et cris – corps écrits avec un remarquable art de la suggestion et un pathétique sans pathos – nous fait entendre deux voix pour dire la coexistence et/ou l’antinomie entre présent et passé, destin et émancipation, liberté et tradition, Eros et Thanatos…

Quatrième de couverture

Algérie, années 1990. Elles ont été des milliers à être enlevées, violées, parfois assassinées, les filles de la décennie noire. Ces très jeunes filles, à qui l’on a demandé de pardonner, se sont tues et ont ravalé leur honte.
Tandis que résonne le cri de l’une d’entre elles, la narratrice raconte sa culpabilité d’avoir choisi l’exil et trouvé le bonheur. Deux voix de femmes en écho qui prennent la parole haut et fort, en mémoire de toutes les autres.

L’écriture pour vaincre le silence de ceux qui savent. Un roman contre l’oubli.

De la douleur du dialogue (Blanchot) au dialogisme critique : nuit, silence… et cris !

Le poignant récit dialogique de Wahiba Khiari se circonscrit entre ces deux phrases cris :

"Je suis née à retardement, une alerte à la bombe, une grenade dégoupillée par la nature, une déflagration annoncée, un danger. Je suis née quelque part où il me fut bon de vivre, jusqu’au jour où je réalisai qu’autour de moi, rester en vie était devenu un projet de société, le régime en vigueur."

"Algérie, une douleur étymologique est inscrite dans son génotype, ton nom en porte la trace comme une fatalité. Devrais-je t’écrire toujours et encore pour me rapprocher de toi, peut-être me faire pardonner de t’avoir un jour, quittée ?"

Récit moderne placé sous les auspices de Marguerite Duras : " Écrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit." Ce silence figure ici à la fois comme thème et comme forme. Silence – sous peine de mort – des femmes soumises à la loi tribale : " Ils en ont fait des fatwas, les autres, pour tout ce qui leur passait par la tête et même ailleurs que par la tête. Ils se sont fait faire des fatwas comme des prescriptions sur ordonnance, des fatwas de connivence entre collègues. Ils ont retaillé l’islam à leur mesure, rajouté les vierges à leurs listes de butin de guerre, une récompense, un trophée " (p. 111). Silence de la parole douloureuse, silence entre les mots, les sections, les relais de parole.

Faisant sien le principe formel de Perec dans W, ou le souvenir d’enfance, le texte alterne passages en caractères romains et récit en italiques. Mais il s’agit ici de deux voix distinctes correspondant à deux personnages antithétiques. L’une est celle d’une femme émancipée, professeur d’anglais qui réunit à elle "seule la liste des raisons pour lesquelles ils s’étaient donné le droit de tuer" : non voilée, elle enseigne « la langue des "renégats" dans un établissement mixte » (14). L’autre est celle d’une victime, jeune fille violée après sa soeur, alors que leurs parents ont été tués. Le montage alterné débouche sur un parallèle entre celle qui a échappé à son destin et la rescapée : toutes deux accouchent, l’une d’un enfant de l’amour, l’autre de la honte…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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1 comment

  1. Bessah Imen

    Pour moi, ce roman est d’abord l’histoire de deux femmes, qui parlent, qui nous parlent tout simplement. A nous, algériennes, aux femmes citoyennes du monde, aux hommes, tous les hommes, à l’humanité en somme. L’écriture de Mme Khiari, de par sa puissance, son efficacité impose des silences…Oui, des douleurs qu’aucun mot ne peut décrire avec justesse. Le style d’écriture, est à lui seul un personnage clé de ce roman. Le phrasé est court, précis, incisif. chaque mot ayant un sens si lourd, qu’il tombe tel un couperet qui vous scie l’estomac.  » Toutes les nuits, je la retrouve dans le noir derrière mes paupières. Elle, le point blanc qui annule la cécité de mes nuits » p.28…. ou encore « Des gens qui rentrent tard en riant, c’est un bruit de la vie » Wahiba Khiari écrit tel un ruminant qui digère ses pensées, ses idées douloureuses, et vous les ressert par ses phrases si simples, mais o combien dures…On en reste pantois..
    « Espérer sa mort déjà derrière soi » … » Pouvoir dire sa mort au passé »…p63.
    La puissance de ce roman tient aussi, à l’inexistence de repères spacio-temporels ni de présentation détaillée des protagonistes. L’islam n’est évoqué clairement qu’à la page 61. Les attributs des terroristes, peuvent alors appartenir à n’importe quelle engeance barbare, de tout temps, et dans n’importe quelle région du monde. La barbarie est universelle et intemporelle. Voilà le message qui en sort, en un tour de passe passe réussi grâce au parti pris formel de ce roman. La division formelle des deux écritures, l’une en italique, l’autre en style droit, l’absence de fioritures et de paraboles..n’est pas sans rappeler le fameux W ou le souvenir d’enfance de Perec…W comme Wahiba
    Nos silences brille par sa simplicité. Une écriture fluide, limpide et épurée. Cette simplicité, dit toute la maitrise et le talent de cette auteur. Elle dit tout le travail de mémoire fait durant de longues années d’exil, qu’elle a pris le soin de mâcher, avant de nous offrir ses silences étourdissants.
    Enfin, Nos silences est tout sauf un roman de femme écrit pour des femmes, et contre les hommes! C’est un roman qui en dit long sur la perspicacité et la sensibilité de l’auteur qui ne manquera certainement pas dans le futur de nous remuer les tripes avec des sujets humainement universels.
    Merci
    Bessah Imene
    Docteur en Pharmacie. Doctorante en Histoire de l’Art et Archéologie à Paris IV Sorbonne.

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