[News-livres] LIBR-FÊTES : retour sur livres remarquables insuffisamment remarqués...

[News-livres] LIBR-FÊTES : retour sur livres remarquables insuffisamment remarqués…

janvier 1, 2010
in Category: Livres reçus, News, UNE
1 3510 4

Certains livres, pour des raisons diverses (choc esthétique, densité érudite et/ou intellectuelle, voluminosité…), demandent une décantation certaine… (et parfois, pris par d’autres contraintes, on les range dans un à-côté). C’est sur ces livres remarquables insuffisamment remarqués que porte ce dernier volet de Libr-fêtes – avant que Libr-critique ne tourne la page et n’entame 2010 tambour battant.

Comme c’est précisément dans les premières semaines de cette nouvelle année que nous publierons des articles sur NOVARINA (L’Envers de l’esprit, La Loterie Pierrot) et FEDERMAN ("La Fourrure de ma tante Rachel, ou l’autofiction parlée-dansée"), il n’en sera pas question ci-après. De même, nous attendrons le printemps pour ouvrir un dossier sur Christophe TARKOS (Écrits poétiques, POL, nov. 2008 ; Le Baroque, Al dante, automne 2009) et revenir sur Demain je meurs (POL, 2007) de Christian PRIGENT, à l’occasion du second numéro spécial que va lui consacrer la revue Il particolare.

On trouvera donc ci-dessous un trio critique sur le livr-événement de 2008, Nihil, inc. de Sylvain COURTOUX ; un retour sur la réédition en un volume de trois fictions fondamentales dans l’itinéraire de Claude LOUIS-COMBET, La Sphère des mères (Corti, 2009) ; les présentations de deux ouvrages de recherche, une somme de Christophe Charle sur la "naissance de la société du spectacle" entre 1860 et 1914 dans quatre capitales européennes (Paris, Berlin, Londres et Vienne), et une autre de Fabien Danesi sur le mythe brisé de l’internationale situationniste (1945-2008).

Le livr-événement de 2008 : Sylvain COURTOUX, Nihil, inc.

Sylvain Courtoux, Nihil, inc., Al dante, 2008, 128 pages, 15 €, ISBN : 978-2-84761-996-6.

"L’abrutissement des masses rend à terme toute écriture révolutionnaire véritablement impossible" (p. 8).

"La réalité ne dépasse pas la fiction, elle la détruit."

"Qui pourra dire ce qui est réel qui pourra dire ce qui ne l’est pas ?" (102).

"En régime pseudo-démocratique libéral et transparent la propagande se nomme aujourd’hui publicité" (115).

En cette première décennie du XXIe siècle, la question n’est plus : "Comment écrire après Auschwitz ?", mais bel et bien : "Comment écrire après la fin du politique ?" Sans tomber dans le topos propre au genre dystopique de la découverte de la société totalitaire par un regard néophyte – ce qui est le cas même dans le roman très réussi de Christophe Fiat, Bienvenue à Sexpol (Léo Scheer, 2002) –, Sylvain Courtoux nous plonge dans un ingénieux et vertigineux montage discursif organisé selon une implacable dialectique : critique de la société spectaculaire – avènement du nihilisme – autodestruction de cette idéologie soi-disant salvatrice. Cette contre-utopie singulière à la narration dramatique offre non seulement une réflexion sur la sloganisation de la pensée et la nature mortifère de la société spectaculaire, mais encore sur la littérature même, proposant le dépassement de la littérature faite, et préférant à l’expansion cancéreuse des machineries idéologiques le virus de la révolution électronique (Burroughs)… [Fabrice Thumerel]

Voix critique 2 : Philippe BOISNARD
 

Essai ? Roman ? Dialogue ? Poésie ? Non, l’ensemble est une tentative dystopique, de déséquilibre généralisé des catégories littéraires. Entre les genres ce livre de Sylvain Courtoux interdit un topos de connivence, interdit d’établir son livre dans un genre particulier. Pour quelle raison ? parce qu’il interroge, radicalement, toutes les positions de la culture, et ceci dans une approche résolument politique.

"La conspiration cut-up est la fin des distinctions […] La conspiration cut-up est comme le miroir de la communication de notre époque : il la reproduit mais en accuse tous les défauts" [p.21]

L’entreprise de Sylvain Courtoux est de nous plonger dans le flux communicationnel et surdéterminant de la communication telle qu’elle est matérialisée fin XXème, début XXIème. Nou plonger dans un flux, à savoir nous faire rencontrer aussi bien les règles de la communication, que les objets qui y sont véhiculés, et cela dans un effort constant de redoublement dialectique et critique.

Le XXe siècle s’est auto-proclamé, et ceci par la prolifération des énoncés politiques, des productions de représentation, incarnation de l’utopie, concrétisation des possibilités les plus virtuelles. Le XXème siècle selon l’occident a été le dévoilement de la rationalité comme réalité ultime de l’homme, et selon cette logique du monde technique et économique comme plan de consistance de l’existence.

Déconstruction généralisée des strates et des composantes de la multiplicité des machines et appareillage de cette proclamation, Sylvain Courtoux, retourne l’utopie générée, et montre comment tout cela tient à une forme d’entreprise d’évidement du singulier, d’effacement des potentialités non normées, comment en bref notre monde correspond davantage à une dystopie qu’à une utopie.

Travaillant le cut-up, le samplage littéraire, ceci permettant, il faut le souligner, une très grande lisibilité de ce texte, et aussi un rythme soutenu et percutant, comme s’il s’agissait d’opérer toutes les structures possibles, il déverse au lecteur nombres d’énoncés connus, déjà entendus, qui semblent tourner en boucle dans nos oreilles, mais dont il fait le théâtre de ses opérations, le champ pour le combat linguistique qu’il initie.

Ce livre entre dans la catégorie des livres qui ont délaissé pour une part l’idiolectal (et pourtant Slvain Courtoux n’est pas un des derniers à avoir frayé dans cette direction, notamment avec ses recherches hyperlittérales), pour se concentrer sur la manière dont un impensé de la loi travaille cette ère.

Voix critique 3 : Aurélien MARION

Conditionnement et "novlangue" (1984) : la "machine/récit" fonctionne par répétition, itération, réitération, rengaine, refrain, ritournelles, bref tout ce qui fait tourner le système de juxtaposition (par des tirets). Ce système d’écriture, complexifié par les samples et mixes, vise à aliéner le lecteur à la cadence : c’est une lecture à la chaîne comme on parle de "travail à la chaîne" et un conditionnement à l’idéal dystopique, et ce malgré la volonté de s’arrêter pour y réfléchir, volonté faisant partie intégrante du système, comme un dispositif de dénuement de la langue. En effet, ce qui nous pousse à stopper l’éternel retour n’est qu’un autre aspect du conditionnement au récit, c’est l’épuisement du souffle, l’apparition de la différence par les normes, l’impossibilité à faire histoire. Car les 4 actants, vite fusionnés en deux ("je" narrateur se réduit à "elle" – dans l’apparition abstraite et arbitraire du "dit-elle" ; "tu" et "vous" singularise ou pluralisent le lecteur comme intégrant le système) ne sont que voix vidées, simulacres ne pouvant dialoguer, paroles vaines, tombant dans l’oubli. Ni début ni fin ni progression, le récit ne fait qu’expérimenter la "novlangue", découpée en 10 chapitres sans logique claire : au lecteur de résister…

[Extrait d’un article à paraître mi-janvier dans la catégorie "Manières de critiquer", "Le nihilisme au travail dans Nihil, inc. de Sylvain Courtoux, et son anéantissement" – au moment même de la parution de Vie et mort d’un poète de merde et de Clara Elliott]

Redécouvrir les textes de jeunesse de Claude Louis-Combet : La Sphère des mères

Claude Louis-Combet, La Sphère des Mères, Corti, 2009, 670 pages, 30 €, ISBN : 978-2-7143-0993-8.

Présentation de l’auteur :

Les trois fictions ici recueillies en un volume représentent trois manières d’écriture expérimentées, chacune, à un moment nécessaire du rapport que l’auteur a entretenu avec lui-même, autrement dit avec ses propres sources inconscientes de vie et de création. Infernaux Paluds (1970), premier roman, s’est nourri de matière autobiographique, avec la pensée de dégager le sens de l’expérience vécue et de pousser, du côté de l’origine des passions, le regard soucieux de connaissance de soi, au seuil de ce qui allait être une véritable aventure d’expression. Voyage au centre de la ville (1974) transpose, transfigure et transvalue le projet autobiographique, en le recentrant sur le seul terrain des pulsions et fantasmes, loin de toute construction chronologique et de toute exploitation anecdotique, comme le serait un rêve majeur ou l’orchestration délirante de quelques appétits de fond. Enfin, Mère des Croyants (1983) met en œuvre les principes de la mythobiographie, dégagés auparavant au cours de l’élaboration de Marinus et Marina (1979). La biographie d’une célèbre mystique dissidente du XVII e siècle, devient l’espace de projection des fantasmagories incestueuses et néanmoins spirituelles du narrateur. Échange, interférence, osmose, cette manière de recréer l’histoire revendique son droit sans réserve à la pure subjectivité.

Invitation à libr-méditer…

"Glima, glima, glimagouillis gargouilla pouah !
Est-ce main ? non. Moi ? Moi-doigt, s’allonge-moi, glisse doigt, là, moigl, doigt-là, marvouille et gli jusqu’y…
Gl. Gl. Glamoi.
Gladoigt s’allonge en gli, se tordgli, se glimouille.
Bavouille la molli-molla.
Ah ! gl."

Mouillure des consonnes, mouillure des sécrétions… Le prélude à Infernaux Paluds rattache Claude Louis-Combet à ceux qui merdRent. Cette trilogie autofictive au style baroque vous fera boufailler la meumeu, découvrir "la glaireuse confrérie" (235), ou encore la SPM (Société Protectrice des Mères)… Le Voyage au centre de la ville, singulier voyage initiatique dont l’antihéros, aussi falot que le Folantin de Huysmans, mais également "phallo", est un curieux être asexué, débouche sur Mère des Croyants, une mythobiographie qui accentue le mouillage dans les eaux batailliennes, où s’allient sacré et sacrilège, idéal et trivial, Eros et Thanatos… Le point commun entre ces trois récits : une écriture fantasmatique et fantasmagorique, écriture de l’excès et des paradoxes… Pour explorer cette "langue des abîmes" : Sylvie Coyault, L’Écrivain et sa langue : romans d’amour de Marcel Proust à Richard Millet (Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005) ; José-Laure Durrande, L’Œuvre de chair : la question de l’écriture dans les proses de Louis-Combet (Presses Universitaires du Septentrion, coll. "Objet", 1996). /FT/

Deux ouvrages fondamentaux de recherche

Christophe Charle, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, Albin Michel, "Bibliothèque Histoire", 2008, 575 pages, 29 €, ISBN : 978-2-226-18701-7.

L’historien, qui doit sa grande notoriété à ses ouvrages sur la littérature et la culture fin XIXe – début XXe siècle, sur les intellectuels ou les milieux universitaires, a consacré une dizaine d’années "à la recherche d’une société du spectacle perdue", celle qui, de 1860 à 1914, a triomphé dans ces quatre principales capitales de l’Europe occidentale que sont Paris, Berlin, Londres et Vienne. Ses outils sont ceux d’une histoire sociale qui se situe dans le prolongement des travaux de Pierre Bourdieu : "géographie sociale comparée", sociologie différencielle des salles et des auteurs, typologie des directeurs de théâtre, statut et condition des acteurs, études de réception…

Parce que cette somme érudite – avec tableaux, graphiques et documents divers – nous permet de comprendre ce qu’on appelle encore "le contexte" du passage à l’époque moderne du spectacle, elle doit être lue avec intérêt par tous les chercheurs en sciences humaines comme les amateurs de spectacle contemporain. /FT/

Fabien Danesi, Le Mythe brisé de l’Internationale situationniste. L’aventure d’une avant-garde au cœur de la culture de masse (1945-2008), Les Presses du réel, 2008, 336 pages, 22 €, ISBN : 978-2-84066-203-7.

Présentation éditoriale :

Le 28 juillet 1957, l’Internationale situationniste fut fondée à Cosio d’Arroscia en Italie. Jusqu’à sa dissolution en 1972, le collectif emmené par Guy Debord eut pour ambition le renversement de la société capitaliste afin de passionner la vie quotidienne. Si le parcours de cette avant-garde a souvent été interprété sur le mode d’une progressive radicalisation politique, il reste que sa praxis chercha toujours à concilier les dimensions esthétique et sociale. Délaisser la production d’œuvres était une manière d’affirmer la nécessité de la création de soi. La liberté que l’artiste moderne s’était octroyée depuis la fin du XIXe siècle devait trouver sa plus belle postérité dans l’organisation des Conseils Ouvriers qui devait mettre fin à la culture de classes. Ainsi, l’I.S. s’engagea-t-elle dans une aventure qui la vit combattre le phénomène de la consommation de masse perçue comme une redoutable machine aliénante. De la Guerre d’Algérie à Mai 1968, elle tenta de redonner au projet d’autonomie individuelle sa vérité alors que le conditionnement moderne – le spectacle – paraissait plus fort que jamais. De nos jours, pareille entreprise anthropologique peut être décrite tel un mythe brisé dans la mesure où les situationnistes ont participé de manière paradoxale à l’écriture d’une légende qui continue à fasciner.

Note de lecture :

"En fait, nous voulons que les idées redeviennent dangereuses" (Internationale situationniste, n° 11, octobre 1967).

"Les avant-gardes n’ont qu’un temps ; et ce qui peut leur arriver de plus heureux, c’est, au plein sens du terme, d’avoir fait leur temps" (Guy Debord).

"Regardez le monde autour de vous, David. Que voyez-vous ? Un immense parc à thème, où tout est transformé en spectacle. La science, la politique, l’éducation, autant d’attractions. Le plus triste, c’est que les gens sont ravis d’acheter leurs billets pour grimper à bord" (J.G. Ballard, Millenium People, 2003).

Se gardant de toute dérive idéologique par la distanciation historique et théorique, avec rigueur et érudition, en s’appuyant sur une documentation riche et variée, Fabien Danesi retrace l’évolution du mouvement, de la posture révolutionnaire au ludisme et à la crispation élitiste. En particulier, il montre parfaitement comment la révolution anthropologique entreprise par l’IS ne pouvait qu’aller à l’encontre du principe de l’autonomie artistique ; comment il s’est situé entre réalisme positiviste et nihilisme, existentialisme et structuralisme ; comment il s’est défini contre la notion d’avant-garde, contre le groupe Cobra, le Nouveau Roman comme le Nouveau Théâtre, la Nouvelle Vague et le Nouveau Réalisme… /FT/

 

 

, , , , , , , , , , , , , , , ,
rédaction

View my other posts

1 comment

  1. sylvain c.

    Bravo et merci pour ces trois grands petites textes, il cerne bien, je crois, ce que j’ai voulu faire avec ce livre – merci à vous tous – et tous mes meilleurs voeux pour cette tout nouvelle année qui j’espère sera rock n’roll pour tous !!!
    merci encore..

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *