[Recherche] Poésie de face sans fond : quelle fut la prétention faciale ?

[Recherche] Poésie de face sans fond : quelle fut la prétention faciale ?

mars 21, 2007
in Category: recherches, UNE
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Tarkos, photographie d'Olivier Roller (2000)[Je donne à lire ici un chapitre extrait de Meccano, sans mode d’emploi, [essai sur la poésie contemporaine qui aurait dû paraître chez Al dante] qui tente de mettre en évidence ce qu’est la facialisme, et en ce sens ce qu’a, ce qui a, travaillé l’écriture de Tarkos. Cet article entre en écho avec celui que j’avais consacré à Tarkos, dans le numéro d’Action poétique qui avait été publié en 2005 après sa mort. Alors que le débat sur Libr-critique est ouvert à propos d’Arno Calleja, il me semble pertinent de faire lire cette brève recherche. J’ai retiré un certain nombre de notes qui étaient inutiles.]

La poésie faciale n’aura été, en définitive, présentée que dans une seule et unique revue : Facial, revue qui n’eut, de plus, qu’un seul et unique numéro. Quelque soit ensuite la volonté de Pennequin de renouer avec ce qui s’est donné intuitivement avec celle-ci, toutes les autres tentatives semblent maladroites, avortées [1], manquant tout simplement ce qui fut annoncé dans ce seul et unique numéro ayant eu la prétention de marquer un « mouvement littéraire » [2]. La poésie faciale serait alors peut-être de l’ordre d’un échec, d’un de ces nombreux mouvements qui naissant et meurent rapidement, que cela soit faute d’énergie, des relations humaines mouvementées ou tout simplement et plus essentiellement de l’impossibilité réelle de la logique de mouvement.
C’est dans ces limites que je vais tenter de mettre en évidence ce que furent les recherches facialistes et en quel sens, cette littérature s’est en quelque sorte échappée de la logique de négativité liée à la modernité, pour se poser en rapport avec une poétique ne se définissant que selon la circulation horizontale de la langue.

Topos
Le nom l’indique, la poésie faciale détermine un topos, la question de l’espace même du poétique, de la langue, de sa surface. En conclusion de la revue, est énoncé le fait que la poésie faciale est une poésie à une face, à savoir une poésie sans arrière pensée, sans profondeur, tout en aplat de langue. 1er constat : si en effet c’est une poésie sans arrière pensée, pensant dans la mobilité des seuls mots en présence, cela pose la question d’une possible stratégie de mouvement.
Mais cet aplat de langue, de la langue à plat, aplatie sans pourtant être affadie, n’est qu’un des versants. L’autre facialité, en jeu, est celle de l’existence et du monde. Le monde est considéré comme surface sans épaisseur, comme lieu de la décharge immédiate et totale des choses. Poétique qui relie à la fois une question linguistique et de l’autre une question ontologique.
Ceci ressort parfaitement de la déclaration initiale de la revue : « brut et non épais le poème à plat exactement étalé sous les yeux dans toute sa longueur y s’embarrasse pas d’intérieur » [Facial, p.5]. En frottement au monde, la poésie faciale ne s’élabore pas comme plongée dans les obscurités du monde, vers un ou des fondements en retrait, mais traite la réalité phénoménale du monde en tant que bouillonnement, en tant que variation en surface de causalités à définir linguistiquement. [Généalogiquement, même si les auteurs dont il est question ici ne les avaient pas forcément découverts, il y a un trait partant de Stein en passant par Beckett.] Et ceci sans détour, sans que se creuse des plis où s’enfleraient, se dilateraient la possibilité d’un récit, ou encore s’amplifierait la présence chargée des choses [3]. Pennequin le rappelait lorsqu’il donnait la ligne d’horizon du blog facial : « Facial parle de la poésie qui a une face la poésie à une face est une poésie qui ne fait pas de détours il ne sert à rien de faire un détour si on veut perdre la face c’est pour ça qu’il existe une poésie de face à une face dite facial pour perdre la face sans faire de détours ». Le topos de cette poésie, son lieu de porosité au monde n’est pas dans l’épaisseur des choses, comme si elles portaient en elles une épaisseur substantielle à retrouver, comme s’il y avait certaines vérités à en énoncer, mais il est de l’ordre du superf[i/a]ci[e/a]l.Dire qu’il n’y a pas d’intériorité à trouver cependant ne signifie pas que la parole n’ait pas une source propre au sujet. En effet les poésies faciales loin de se constituer comme une littérature où il y aurait neutralisation de la subjectivité écrivante — comme c’est le cas souvent dans les littératures cognitives qui interrogent l’époque post-moderne — se construisent autour de la chambre d’échos de la réception singulière du monde de chacun des écrivants. À noter : la prépondérance de la monologie, de la position centrale du regardant-parlant hyper-subjectivé. L’exploration du topos n’est pas objectivante, mais hyper-subjectivée dans une position proche de l’idiotie de chacun des poètes. Le topos est le lieu d’une dissection de ses logiques selon l’arbitraire de la perception idiote.
Proche de l’idiotie au sens où ils expriment chacun à leur manière des logiques de connexion au monde où se révèle un permanent étonnement, une sorte de précipitation naïve, voire proche de la folie. « L’idiot est sérieux. Le simplet simplet. Le carré carré. On ne sort pas de là. Rien à trouver en dehors de là » [Facial, p.6]. Le sujet s’exprimant, ne tente pas ainsi de parvenir à une vérité qui lui serait fondamentale, mais de tourner au carré son rapport au monde, au carré, à savoir rigoureusement, le plus sérieusement du monde. Le carré implique une quadrature rigoureuse, dissécant chaque phénomène, monrant un archi-visible totalement inaperçu. Que l’on considère le rapport à la chaussure de Nathalie Quintane. Ce rapport n’est pas issu d’une neutralisation/abstraction de la subjectivité, mais d’une connection hyperdensifiée à l’objet chaussure de la part du sujet. D’une intériorisation de l’objet en tant qu’objet de langage, posé dans un ordre de causalité propre à la subjectivité écrivante qui perçoit. Cela ressort de même du simple titre Remarques. La remarque n’est pas seulement la marque, mais l’effort tendu d’un sujet à propos de la marque, de ce qui vient l’impressionner, l’imprimer, l’impacter.
Le sujet n’est pas absent, n’est pas construit, n’est pas en souvenir, mais en quelque sorte en parage du titre de Pierre Alferi, il se tient dans le chemin naturel d’un frayage de la réalité. S’il est combattif, pour poursuivre le rapprochement, sa lutte est d’abord et avant tout linguistique, de l’ordre d’une langue à l’œuvre qui désoeuvre le topos rencontré par une refonte des causalités et des contenus. Cette poésie percevante déconstruit la réalité, en immobilise certains effets, en monrent d’autres, et tout ceci sans an avoir l’air, selon la voix d’idiotie singulière.
Dans le signe =, Tarkos tente d’articuler cette question du sujet et de sa conscience du monde, articuler, à savoir définir que la conscience éveillée n’est autre, par ses manipulations du sens/flux que l’articulation du monde. Tel qu’il l’énonce : a/ la conscience est tout d’abord impactée par ce qui vient la toucher (« Une chose sensible au hasard flottant directionne l’entendement ») ; b/ il y a saisie, conscience de cet impactage (« il y a toujours sa captation ») ; c/ ce qui vient impacter et qui est saisi, en tant que hasard flottant, va être tactilement modeler, expérimenter par la conscience, comme si elle possédait d’abord et avant tout comme propriété une plasticité de devenir, et non pas la staticité d’être (« ça a une forme bouleversée monstrueuse modifiée modifiable modelée caoutchouc » [Le signe =, p.83]).
Cette hyper-subjectivation du sujet implique donc une hyper-subjectivation du monde et des choses. Tholomé lors d’un entretien définit bien ce processus de caisse de résonance du sujet avec à ce qui l’entoure, le sujet rencontre dans le quotidien des masses verbales, et donc « le texte est donc comme une réaction à cette « masse ». Comme ce qui frappe est souvent plus entendu que lu, l’écriture et la composition visent à intensifier cela en singeant les manières de parler, en les exagérant. Déformation qui va jusqu’à la caricature parfois. Ou la grimace. De là, l’usage du mauvais parler. Mauvais usage des pronoms. Usage plus qu’indéterminé des structures des phrases, etc. Répétitions abusives et n’ayant aucun sens. Comme dans la vie réelle, en fait. » [Entretien avec Jan Baetens, Romaneske, 1999]
Ainsi, l’idiotès du facialisme ne rejoint pas l’idolectal de l’illisibilité moderne, mais est l’hyper-sujet de surface d’un rapport de dérapage au monde et aux choses.

Anodin
La poésie faciale est d’abord et avant tout une poésie de l’idiotès donc, de la posture sans recul face au monde, où le monde s’articule dans sa crudité absurde. S’il y a décrochement du langage communicationnel intramondain, ce n’est aucunement pour consttruire une autre langue, un idiolect singulier qui pourrait atteindre un réel voilé, mais c’est pour en sentir les articulations biaisées, les aléas obligés qui pourtant ne font pas sens, pour en noter, parfois quasi-scrupuleusement, d’une manière carrée, comme chez Quintane ou bien Tarkos, les zones d’opacité de surface.
Tension entre le prédit et le dire, entre ce qu’il convient de dire et ce qui pourrrait peut-être se dire. Tarkos énonce parfaitement cela dans le champ/contre-champ de deux de ces carrés : il met en opposition le falloir de la langue communicationelle et le pouvoir de la langue de l’idiot face au monde : « je n’aime pas que cela se dise ainsi. Je n’aime pas qu’il faille le dire ainsi. Je n’aime pas que cela ait été dit qu’en le disant ainsi. Je n’aime pas le fait qu’il faille le dire ainsi pour l’avoir dit » // « je ne sais pas si ça peut se dire ainsi, je ne sais pas si ça peut se penser, je ne sais pas s’il est juste de penser ainsi » [Ma langue, I. Carrés, respectivement p.24 et p.25. La question de la possibilité du dire est une des lignes directrices de la lecture de ce premier tome de Ma langue].
Il s’agit de faire face au monde dans sa phénoménalité anodine, selon une certaine forme d’étonnement. Ainsi, si on peut penser pour une part à L’art poetic’ de Cadiot, qui les précède de plus de dix ans, ce ne sont pas les mêmes enjeux qui se jouent dans le rapport à l’anodin. Pour Cadiot, dès ce livre, ce qui est visé tient surtout à la question de la verbalité et de ses enjeux, de la manière dont se distribue et se constitue le langage. Son objet n’est alors autre que la trivialité communicationnelle, ou bien encore ce qui définit une règle de style. C’est en ce sens que sa dernière partie, Davy Crockett ou Billy le kid auront toujours du courage , n’interroge rien d’autre que le genre littéraire même du roman d’aventure et se propose ludiquement d’en démonter les rouages. La littérature faciale, si elle plonge dans les masses verbales du quotidien, c’est en tant que celles-ci déterminent des ordres de connections au réel, des ordres relationnels aux personnes, des vécus de sens d’une subjectivité. Dans les Remarques de Quintane ou dans ses Chaussures, aucun sujet proprement littéraire, seulement une saisie de ce qui entoure et qui reste inaperçu, surface des choses et surface du langage. Dans chacun de ces livres, Quintane, met en évidence des traits phénoménaux ininterrogés, passés sous silence, non pas volontairement, mais parce qu’inapparent. Parce qu’il semble inutile de les mentionner, marce que le regard dressé du regardeur régulier est dans l’incapacité de se connecter ainsi à ce qui lui fait face. Poésie faciale = poésie idiote = poésie d’un rapport singulier à la platitude de l’apparence = poésie voyante en touché superficiel de choses .
Tarkos énonce aussi cela, disant que cela ne se « trouve pas dans le vide, se trouve par terre, sur la table, sur le mur, sur les genoux, sur le rebord du fauteuil, sur la planche de tilleul, sur le marbre, sur le banc de bois ». Cela : la langue qui se fait flux. Tholomé, de même n’énonce rien d’autre : ce qui l’impacte : « une voix, le texte d’une affiche ou d’une publicité, ce que dit un père à sa fille, une bribe de conversation. N’importe quoi en fait ». Pennequin, idem, comme je l’ai déjà analysé à plusieurs reprises, est traversé, transpercé à longueur de temps par cet anodin qui se révèle dramatiquement existentiel pour la conscience.
L’anodin, la silencieuse masse matérielle de ce qui fait monde est le lieu à partir duquel s’écrit la poésie faciale. Elle a évacué les instances métaphysiques, d’une certaine manière la question du sujet, le posant dans son idiotie étonnée, qui fissure l’insignifiance de la conception du monde. De même qu’elle se détourne de tout rapport savant à la langue et à la culture, au profit d’interrogations sur les causalités qui lient les choses .
Dans son texte home made, Tholomé insiste sur cette caractéristique de l’anodin propre au poétique : « cher ami à partir de 1998 il se fait que vincent tholomé entama le long processus des poèmes faits maison poèmes composés à partir des matériaux qu’il trouva chez lui et que jusqu’alors il avait négligé alors que toutes ces choses lettres papiers peints (…) toutes ces choses là il les avait chez lui et constituaient qu’il en ait consciencee ou non le substrat même de l’activité mentale de vincent tholomé » [Facial, p.73]. Tel qu’il l’écrit l’anodin, l’accessoire, ce qui n’est pas en rapport d’essence avec la conscience, est pourtant la matière même de la conscience, ce qui la constitue. La poésie de l’anodin n’implique pas un désépaississement du monde, mais un rapport accru à sa matérialité de fait, à ses articulations données, sans que soit réinjecté l’idéalisme d’une subjectivité qui voudrait en trouver un sens caché.

Sans fond et langue : la poésie est la trace d’un dérapage
Si la facialité tient bien de cet anodin, elle est aussi attachée à la logique de flux des mots, comme j’ai commencé à le dire.
Ce ne sont pas des mots employés que la poésie faciale trouve sa consistance car si la langue de Tarkos est poétique, « elle ne s’agence pas par l’accumulation de poids de plus en plus lourds d’un appareillage de torchis, de briques, de pierres et de parpaings »[Ma langue, I, p.7].
Le facialisme est d’abord l’ouverture à un dérapage tant logiques que linguistique.
Ces dérapages, on les conçoit selon l’ordre des remarques, des jonctions, des précipitations des liaisons logiques. Déraper signifie être emporté par la masse en mouvement, celle-ci laissant une trace (de pneu ?) dans son effort d’arrêt, ou dans la rectification de son mouvement. Le dérapage pose toujours la question d’un se laisser emporter, d’un se laisser entraîner, tracter, déporter par une masse quelconque. Ici en l’occurrence la masse des mots et de leur liaison.
Si on considère le texte de Tholomé ou de Tarkos dans la revue Facial, ils traduisent bien cette idée du dérapage, du jeu de déplacement selon la masse mobile du langage. La question de ce dérapage de la langue obéit au fait que la langue ne se construit pas par points, par étapes, mais selon un processus d’empiettements constants des mots les uns par rapport aux autres.

  • 1. ce qui suppose qu’aucune chose qui est inscrite dans la langue ne puisse avoir un terme.
  • 2. ce qui suppose que le langage est, au sens de Derrida, travaillé par une différance.Le dérapage de ces langues amène à penser qu’il n’y a pas de réelles unités organiques aussi bien dans les mots que dans ce qui est dit. Il y a toujours un différentiel qui hante les expressions, qui poussent à briser la dîte en l’amenant à son déport dans un perpétuel à-dire. Derrida, dans Positions, expliquait que la différance, ne renvoie aucunement bien évidemment à une réalité substantielle extérieure. Mais qu’elle désigne dans le langage le jeu essentiel de différentiels, faisant que toute énonciation se donne selon les conditions même de son manque, de ce qui lui est extérieur, en tant que conditions intérieures de son énonciation. La différance « est une structure et un mouvemennt du jeu systématique des différences, des traces de différences, de l’intervalle par lequel les éléments sont reliés les uns aux autres, sans quoi les termes pleins ne signifieraient rien, ne fonctionneraient pas ».Poésie faciale = poésie de merde
    Poésie de l’anodin, à une seule face, celle d’une langue en dérapage, langue flux, langue résiduelle du corps en espace de monde, cette poésie a été appelée par Tarkos : poésie de merde. Mais en quel sens, car d’emblée est précisé que « la poésie de merde n’est pas la poésie de merde comme on l’entend » [Facial, p.104] . Tarkos, dans Signe =, définissait en 1999 ce qu’était la merde en rapport à la langue, au sens où pour lui s’établit une nécessaire relation . « La merde est la seule chose qui est produite avec les paroles qui vient du ventre, qui vient de l’intérieur et qui est personnel » [Signe = , p.49]. La merde n’est pas ontologiquement négative, mais elle est la trace œuvrée du corps, elle est déterminée positivement ontologiquement. La merde est le travail d’une digestion, de décomposition, recomposition lente et continue, qui n’arrête pas de s’agglutiner, de se recomposer/éjecter du sujet au même titre que la parole. Dans ce processus physiologique personnel, ce qui doit être compris, c’est que pour faire de la merde, il faut avoir absorbé. L’absorption, comme je l’ai indiquée au niveau du langage, tient à l’emplissement constant des énoncés intramondains. Tient au fait qu’il n’y ait aussi de choses que dans le langage et sa saisie en mouvement.
    Lorsque Tarkos définit le pâte-mot, il se réfère surtout au travail de broyage, et aux liaisons compotées entre les éléments broyés. Le broyé et l’aggloméré redoublent ce que j’ai déjà énoncé sur le topos de surface et l’anodin : par rapport à la chose « il n’en va pas de son apparence intérieure » + « il n’y a pas de loi, les lois ne sont pas en cohérence, les lois sont molles » = « le pâte-mot est la substance »[Signe = , p.32-33] . Véritable épistémologie du langage, Tarkos, ici, indique que le réel n’est de l’ordre que de cette pâte-flux de mots, et que s’y tenir, ne tient qu’au déport constant de cette dissolution des fausses unités organiques données aux choses et à leur ressaisissement dans la fluctuation des assemblages de la langue.L’impossible pérénité : l’idiotie ne se copie pas
    Alors que la poésie faciale a une existence mort-née en tant que mouvement — puisque ce qu’elle implique est contradictoire avec l’idée même de mouvement littéraire — bien que dans la pratique elle soit toujours en œuvre chez des poètes comme Pennequin, elle a marqué, et semble avoir fait des adeptes. Langue idiote que chacun pour soi, on entend, qui se décline et dérape selon les circonstances, en quelque sorte, l’idiotès hante, et hante ainsi aussi la voix singulière de Tarkos, ou de Pennequin. Toutefois, chez ceux qui tentent de pratiquer une écriture facialiste, il ne semble pas que cela soit de même nature. Qu’il y ait le même travail en œuvre, il suffit de regarder le travail par exemple d’Arno Calleja, qui a participé très activement à la création du blog de merde avec Pennequin.
    Lorsque l’on lit les textes de Calleja, il est bien évident, que formellement, cela semble se donner facialement : flux ininterrompu, glissement constant des motifs, réduction du langage à des séquences mastiquées, pensée crisique du surgissement du poème. Toutefois, la ressemblance s’arrête-là, du fait que chez cet auteur, l’ontologie de la langue appartient davantage à celle d’une modernité inquiète par le sujet et sa réification, qu’au chantier mis en œuvre par les facialistes. Nous avons vu que la facialité tenait à un rapport personnel et singulier à la langue, qui refuse justement l’intériorisation, à savoir qui ne repose pas sur l’axe vertical d’un sujet intérieur qui s’exprime, mais qui se compose horizontalement sans identité selon l’ordre des glissements linguistiques. Le sujet facial, n’est pas habité par une intériorité, n’est pas en proie à des contradictions psychanalytiquement déterminables, mais est dans un multiple machinique de soi qui se compose/décompose linguistiquement [en ce sens Jacques Sivan serait certainement plus proche du facialisme que beaucoup qui pensent en être proches par la mimétique de la langue]. Cette singularisation, où s’élabore la poésie de merde est en ce sens, hétérogène à toute forme de substantialisation de la langue comme réalité ontologique autonome. De même, elle ne se pose pas dans la logique du trou, mais de la surface, du déplacement. Sa négativité est celle de l’effet opérée sur des structures établies et non pas en tant que cause [sujet, ou bien réalité].
    Or quand on considère ce qu’énonce par exemple Calleja, on fait face à une substantialisation de la langue et régulièrement à une mise en perspective du trou.

    [1]Pennequin, en 2004-2005 a tenté de réactiver le champ de la poésie facial en créant sur internet le « blog de merde », en liaison avec Arnaud Calleja. Or, s’il a pu y avoir des textualités qui s’en sont rapprochées, à commencer par celle de Pennequin et de Calleja, ce blog retranscrivait bien d’autres formes de textualité, ce qui ne permit aucunement de comprendre ce qu’était l’angularité de l’approche poétique du facialisme.
    [2] Sur la couverture, en effet, nous pouvons lire : mouvement littéraire. Il s’agira bien évidemment dans cet article d’interroger la possible constitution d’un tel mouvement. Était-il possible de le constituer, est-ce qu’une telle volonté n’était pas tenue en échec à partir de la compréhension de la langue véhiculée dans cet horizon poétique ?
    [3] Ce que l’on pourrait trouver en quelque sorte chez des écrivains contemporains comme Hubert Lucot ou bien Didier Garcia. En effet, chez Lucot, par exemple dans Langst, l’écriture n’arrête pas de s’amplifier, et ceci depuis le grand graphe qu’il a accompli au début des années 70. Le récit, impossible en sa structure, se tisse par la jonction, autour de chaque motif, de la diversité des temporalités relatives aux motifs lui-même. Le flux de présence est sans cesse coupé, déporté, relié à des fondements qui en sont les soubassements, vers des remarques qui le rectifient, et ceci au rythme d’un jeu de ponctuations, de retours, de remarques, par ce qu’il enveloppe, comme s’il était nécessaire pour chaque énoncé d’envelopper et d’exprimer avec lui la totalité du champ à dire, du champ du dire qui le concerne. L’épaississement alors du phrasé, qui a influencé Didier Garcia, et que l’on constate dans Fragments pour l’aimée, ne vient pas d’un dérapage de surface mais d’un engrossement intérieur de la phrase par le jeu des résonances propres à la mémoire et la pensée de celui qui écrit.

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    Philippe Boisnard

    Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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    6 comments

    1. pennequin

      je suis très heureux que vous parliez de facial
      que vous en accordiez de l’importance !
      il y aurait pu y avoir un autre numéro Facial, certes, avec Agnès Forette par ex.
      (qui était dans poézi prolétèr)
      mais ça s’est pas fait
      aussi parce que c’était fait, ce numéro, juste pour dire quelque chose d’un moment
      affirmer une sorte d’écriture
      on avait parlé ensemble de la diffusion de cette revue et au départ, on n’avait envie de mettre cette revue que dans la galerie donguy.

    2. vincent tholomé

      oui, bonne surprise que cet article…
      très fine l’analyse…
      pour compléter : « mouvement littéraire » sur la couverture, c’était d’abord et avant pour le fun, la provoc… jamais on n’a pensé lancer quoique ce soit du genre… comme dit charles : c’était juste pour affirmer une écriture… une façon de réagir face au monde… poésie réactive donc… le sujet s’y affirme car il dit… le sujet ne s’y affirme pas par ce qu’il dit… la poésie faciale : un art de dire en somme, quelque chose qui glisse dans le monde parce que ça glisse dans la langue… enfin : tout des machins de cet ordre mais vous en parlez super bien…
      merci…

    3. rédaction

      Chers tous deux
      Tu le sais Charles, je t’ai connu via Facial, première revue commandée. Et cela fut un réel choc, vos écritures, cette façon d’avoir une langue qui s’étale sans pour autant se perdre, tout en perdant le lecteur. Je pense qu’il était important d’en revenir suite aux dernières discussions sur Libr-critique, à ce qui a été proposé par Facial, et de montrer — et je suis tout à fait d’accord avec Vincent Tholomé — pour quelle raison, cela ne pouvait devenir un mouvement littéraire, à savoir pour quelles raisons il y aurait eu une contradiction, si cela avait eu lieu. C’est parce que « le sujet s’y affirme car il dit » et que ce dire est bien sa trace en télescopage de monde, selon son corps, que cela ne pouvait pas être mouvement mais seulement liaison précaire. On ne fait pas école de la singularité.

    4. Fiat

      Et les amis (comme dit Prigent), arrêtez d’amplifier tout pour faire avant-garde ! A la fin, on dirait les surréalistes, mais sans la métaphysique de l’imaginaire ! C’est comme si chez vous, l’idéologie avait remplacé l’imaginaire. Ca devient kitsch, tout ça… Tarkos était un poète chrétien, un point c’est tout. Il se prenait pour le Christ. Il voulait du sacrifice. Ce n’est pas comme ceux qui nous pompent en réécrivant les contes de Grimm ! Quant à l’amitié qu’on avait pour lui, personne n’a pû en parler jusqu’à maintenant, n’est-ce pas les amis ? De la valeur d’usage de Christophe Tarkos… On en est là… Même pas foutu de lui consacrer un numéro spécial de revue. Il faut rééditer le Tarkos and Co de TTC ! Je ne parle pas de ce merdique numéro d’Action Poétique d’il y a deux ans qui ne dit rien sur Christophe mais qui dit tout sur ceux que ça fait mousser de parler de Tarkos. Bientôt, tout le monde dira que c’est un génie, entendu qu’en France, ça se passe comme ça. De toute façon, le génie est chrétien. Quant à Caleja, il est le Tarkos d’Inventaire-Invention et tant mieux pour Patrick Cauzac qui n’a jamais lu un livre de Tarkos.

      Christophe.

    5. Suel

      Pour information : Ce n° 3 de TTC est sorti en avril 1997 édité par Vincent Tholomé. En compagnie de Christophe Tarkos, on rencontre Stéphane Batsal, Bertrand Verdier, Alain Hélissen, Geneviève Bertaudon,Katalin Molnar, Ivar Ch’Vavar, Julien Blaine, Lucien Suel, Mauricette Beaussart, Isabelle Pinçon, Odile Massé, Vannina Maestri, Charles Pennequin et Hubert Lucot.

    6. Fabrice Thumerel

      Je ne comprends pas tout ce que raconte C. Fiat, mais je retiens l’idée d’un dossier sur Tarkos…et on ne criera pas au génie, promis !…

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